Commentaire composé sur le poème "La courbe de tes yeux" de Paul Eluard

Texte
La Courbe de tes yeux
La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
Paul ELUARD, Capitale de la douleur, (1926)
Commentaire composé
I) Le thème du regard
L’image des yeux de Gala est omniprésente : 16 métaphores qui renvoient à des images surréalistes.
Les yeux semblent dotés de valeurs symboliques. Ils sont un refuge pour le poète « berceau nocturne et sûr », la femme est aussi une mère pour lui. Le poète est dans une relation de dépendance par rapport à la femme avec l’image du cercle qui parcourt tout le poème pour finir sur « Et tout mon sang coule dans leurs regards ».
II) L’expression de l’amour fou
Thème de la naissance : « berceau », « couvée d’aurores », « paille » qui rappelle la naissance du Christ.
L’amour est donc sacré : « paille », « auréoles » montrent la sainteté. « ailes couvrant le monde de lumière » renvoie aux ailes des anges et à la lumière divine.
L’amour permet de voir un monde transformé. C’est un monde de sensualité : 4 sens sont évoqués dans une synesthésie qui parcourt tout le texte. Les 4 éléments de la nature sont mentionnés (air, eau, terre, feu). C’est aussi un monde de simplicité : le vocabulaire employé est simple et les alexandrins donnent un rythme régulier donc rassurant. Les allitérations en [s] évoquent la douceur.
Etude linéaire
Introduction : Amorce Paul Éluard est un poète français et espagnol très connu de la première moitié du XXème siècle. De son vrai nom Eugène Grindel, Paul Éluard naît en 1895, à Saint-Denis. Il s’intéresse à l’imaginaire, au rêve et à l’inconscient. Proche des peintres Max Ernst et de Picasso, Éluard participe au mouvement surréaliste, ce dont témoignent des recueils comme Capitale de la douleur (1926) et L'amour, la poésie (1929). La poésie d'Éluard est une célébration de ce qui fait, selon lui, la valeur de la vie : le sentiment d'appartenir à la communauté humaine.
Reprise sujet « La Courbe de te yeux » est l'avant-dernier poème du recueil Capitale de la douleur dédié à sa muse : Gala qui comporte 4 sections : répétitions, mourir de ne pas mourir, les petits justes, nouveaux poèmes. Il a rencontré cette jeune femme russe lors de son séjour en sanatorium, à Davos. Il épouse Gala en 1917 puis il s'en séparera en 1929. A travers ce poème Éluard exprime l'éblouissant bonheur de découvrir le monde à travers le regard et la sensibilité de l'être aimé.
Problématique : Comment Éluard voit il Gala ? Et comment se caractérise son amour pour elle ?
Plan : Le plan de mon explication suivra le mouvement du poème : nous verrons donc l’éloge de la femme aimée s.1, être divin s.2, puis une image de la femme providentielle qui provoque l’ouverture sur le monde du poème.
I) L’éloge de la femme aimée qui rappelle la présence maternelle
Il voit l’œil de Gala qui le regarde et le fascine.
- « la courbe de tes yeux » : grande présence yeux, éloge à partir d’un détail physique donc poème est un blason (éloge de la femme aimée à partir du corps, visage, yeux). Ainsi ce premier vers donne le thème du poème, il montre l’amour fou d’Éluard pour Gala
- Mots qui évoquent la rondeur au singulier « auréole du temps » « dorée »
-Auréole du temps = temps s’arrête avec Gala = horloge du temps = tout pourrait s’écrouler autour du couple
- « rond, auréole, berceau » : mots apposés complétant le mot « courbe » c’est le champ lexical de la rondeur ce qui rappelle la douceur maternelle « douceur » « berceau » « couvée ».
-Allitération en [s] = écho de cette douceur
-Réseau de métaphore de la lumière = idée de pureté
-Auréole v.3 = connotation religieuse = ange, sainte
- La mère est protectrice et forme un « berceau nocturne » pour le poète amoureux.
- forme physique des yeux = allégorie d’un enveloppement maternel
-v4 et 5 métonymies du regard, regard de Gala le fascine et ne vit que depuis qu’elle est dans sa vie (1ère éloge)
Dans ce blason, Éluard présente gala comme un être qui le fascine, une véritable personnification de la mère protectrice grâce à laquelle il vit.
II) Un être divin
-assonance en [è] « lumière » « ciel » « mer » = dispersion des rayons de lumière = lumière provient de Gala= Gala est la lumière qui éclaire le monde, le rayon de soleil de la vie d’Éluard
- « feuilles, mousse, roseaux, ailes, bateau charge du ciel (=nuage en forme de bateau), sources de couleurs » (=arcs en ciel) » éléments naturels apposés et suivant gradation crescendo, presque tous sont au pluriel du coup description de ce que voit Éluard à travers ses yeux.
- « feuilles de jour, ailes de lumières, sources de couleur » : champ lexical de la lumière, idée pureté et connotation religieuse : ailes de lumière=aile d’ange+arc en ciel=lien Terre ciel donc gala est divine.
- « chasseurs des bruits » = apporte le calme, la paix = oublier les soucis causés par trop de bruit – paix relié à la protection qu’apporte une mère à son enfant
-v.6 feuilles potentiellement assimilées aux yeux de par leur forme ronde= yeux sont les feuilles d’arbre
Pour Éluard, Gala est un être divin, à travers elle il voit le monde, ses yeux sont une sorte de fenêtre ouverte sur le monde. Elle est la véritable lumière de sa vie.
III) Image de la femme providentielle qui provoque l’ouverture sur le monde du poème.
- « yeux purs » = compliment ultime = paroxysme de l’éloge
- aurore associé à la naissance du jour, elle a pour connotation la pureté du jour naissant. Il n’y a pas de jour sans aurore et on ne peut voir le monde sans les yeux de Gala. Le monde est pur grâce à elle.
-hyperbole : yeux reflète la beauté du cosmos « aurore » « astres » « monde » = Gala beauté cosmique
- « couvée, paille, innocence, pur » : champ lexical de la naissance, pureté qui nait donc gala est la mère de ce nouvel enfant qui est finalement le monde, Gala est la mère de l’univers, la déesse créatrice finalement
-innocence rime avec naissance, c’est la pureté de l’aurore.
Le monde est pur grâce à Gala car elle est vierge et mère.
Conclusion : A travers ce poème d'amour tout à fait original Éluard fait l'éloge de la femme à partir de la courbe de ses yeux. Ce poème développe le thème du regard féminin créateur
de l'amour en tant que nouvelle naissance à l'autre, à soi, mais aussi au monde. Éluard se fait ici le chantre du bonheur de ce couple heureux qui s'ouvre sur le monde. On peut rapprocher ce
texte d'une autre œuvre d'Éluard, Le Phénix (1951) : « Qui me reflète sinon toi, moi-même je me vois si peu/ Sans toi je ne suis rien qu'une étendue
déserte ».
Commentaire composé
I) UN BLASON MODERNE
Ce poème offre une description très concrète des yeux de Gala : le mot “yeux” est répété 3 fois (v.1; v.5; v.14). De plus, ils sont décrits comme étant “rond” (v.2), ce qui reprend le motif de la boucle qui domine tout le poème, tant par les champs lexicaux :”tour” (v.1) , “Auréole” (v.3), “berceau” (v.3) que par la forme puisque le poème est un quintil et le terme “yeux” présent dès le vers 1 est repris dans le dernier vers du poème.
Le texte se fonde sur un jeu d’échos sonores qui produit un effet de circularité. Les allitérations sont très présentes dans ce poème : le [s] souligne la douceur de la femme aimée “sûr” (v.3), “sang” (v.15) ; l’allitération en [r] évoque la souffrance de la dépendance affective du poète envers Gala “courbe” (v.1), “regards” (v.15) ; enfin l’allitération en [k] donne l’impression que le poète butte sur son amour chaotique “nocturne” (v.3),“coeur” (v.1). Le dernier vers, vers 15, reprend la totalité de ces allitérations, pour clore le motif de la boucle aussi bien au niveau des sonorités que du sens.
Au-delà de l’éloge des yeux, le poème est aussi un hymne à l’amour heureux. Les premier et dernier quintils suggèrent la dépendance d’Eluard envers sa femme “Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu / C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu” (v.4-5), “Le monde entier dépend de tes yeux purs/ Et tout mon sang coule dans leurs regards.” (v.14-15). Le poète exprime la volonté d'avoir un amour passionnel mais qui s’avère être un amour dangereux puisque sa vie dépend d’elle et si elle n’est pas là il meurt “C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu”. Dans ce poème lyrique (“mon coeur” (v1), “mon sang” (v. 15)), le poète s’adresse à sa femme “tes yeux” (v.1,5,15). L’énonciation change lors de la deuxième strophe puisque par l’absence des pronoms personnels, l’auteur semble ne plus s’adresser à personne en particulier, ce qui donne une portée universelle à son message.
II) LA RENAISSANCE DU POÈTE
La multiplication des images confère aux yeux de Gala une valeur symbolique forte, qui dépasse de loin la simple description. La notion de naissance est très présente dans le poème, comme si Gala était aussi sa mère qui le protégeait de tous les maux de la vie: berceau nocturne et sûr” (v.3). Ceci fait également écho à la naissance de Jésus et emploie le lexique de la nativité: “éclos” “gît toujours sur la paille des astres” on a une image de la crèche.
De par son rythme et l’organisation de ses strophes, ce poème s’apparente à une berceuse. Les 3 strophes sont toutes construites de la même façon : elles comportent cinq vers chacune pour former trois quintils.
Le “je” du poète semble dépendre totalement du regard de la femme aimée :“La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur”(v1), ce vers souligne l’amour que le poète porte à la femme, “tout mon sang coule dans leurs regards” (v.15), en effet le terme “sang” fait référence à la vie ce qui veut dire que sa vie dépend du regard de la femme. “Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu/ C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.” (v4-5), ce vers suggère que si sa femme n’est pas là il peut finir par en mourrir. Le poète est donc totalement dépendant de sa femme, elle a un pouvoir de vie ou de mort sur lui.
III) LA FEMME, UNE MÉDIATRICE ENTRE LE POÈTE ET LE MONDE
Les yeux de Gala semblent contenir un monde miniature. L’image de ses yeux est mise en relation avec la Nature. En effet, le champ lexical de la Nature est utilisé tout au long de la deuxième strophe : “Feuilles de jour” (v6), “roseaux du vent” (v7), "ciel'' (v9), “mer” (v9). On voit donc qu' à travers ce champ lexical, l’auteur considère sa femme comme son propre monde.
L'amour, selon Éluard, décuple les facultés de perception. Le poète fait une description de syeux de Gala qui sollicite tous les sens: tout d’abord la vue “yeux” (v1,5,15), “regards” (15); vient ensuite l’odorat “parfums” (11), “parfumés” (7); et enfin l’ouïe “des bruits” (10). Cette synesthésie révèle que son amour induit une connexion de tous ses sens et que son monde miniature réveille également tous les sens.
Les yeux de la femme aimée sont pour le poète le reflet d’un monde idéal, dans lequel toutes les contradictions s’annulent. Comme une mère éloigne les peurs de son fils, la femme éloigne les cobtradiction du poète. Le poète décrit tous les éléments joyeux de la vie et de notre monde : “ sourires parfumés”, “couleurs”. “Ailes couvrant le monde de lumière”, ainsi les “ailes” représentent les yeux de la femme, l’auteur fait sous-entendre que c’est grâce à ses yeux que le monde est si joyeux, couvert de lumière et éloigné de tous les maux.
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