Commentaire composé sur le portrait de Gobseck de Balzac

Commentaire composé sur le portrait de Gobseck de Balzac

Texte

Balzac, Gobseck, – Cette aventure, dit Derville…

 

 

        – Cette aventure, dit Derville après une pause, me rappelle les seules circonstances romanesques de ma vie. Vous riez déjà, reprit-il, en entendant un avoué vous parler d’un roman dans sa vie ! Mais j’ai eu vingt-cinq ans comme tout le monde, et à cet âge j’avais déjà vu d’étranges choses. Je dois commencer par vous parler d’un personnage que vous ne pouvez pas connaître. Il s’agit d’un usurier. Saisirez-vous bien cette figure pâle et blafarde, à laquelle je voudrais que l’académie me permît de donner le nom de face lunaire, elle ressemblait à du vermeil dédoré ? Les cheveux de mon usurier étaient plats, soigneusement peignés et d’un gris cendré. Les traits de son visage, impassible autant que celui de Talleyrand, paraissaient avoir été coulés en bronze. Jaunes comme ceux d’une fouine, ses petits yeux n’avaient presque point de cils et craignaient la lumière ; mais l’abat-jour d’une vieille casquette les en garantissait. Son nez pointu était si grêlé dans le bout que vous l’eussiez comparé à une vrille. Il avait les lèvres minces de ces alchimistes et de ces petits vieillards peints par Rembrandt ou par Metzu. Cet homme parlait bas, d’un ton doux, et ne s’emportait jamais. Son âge était un problème : on ne pouvait pas savoir s’il était vieux avant le temps, ou s’il avait ménagé sa jeunesse afin qu’elle lui servît toujours. Tout était propre et râpé dans sa chambre, pareille, depuis le drap vert du bureau jusqu’au tapis du lit, au froid sanctuaire de ces vieilles filles qui passent la journée à frotter leurs meubles. En hiver les tisons de son foyer, toujours enterrés dans un talus de cendres, y fumaient sans flamber. Ses actions, depuis l’heure de son lever jusqu’à ses accès de toux le soir, étaient soumises à la régularité d’une pendule. C’était en quelque sorte un homme-modèle que le sommeil remontait. Si vous touchez un cloporte cheminant sur un papier, il s’arrête et fait le mort ; de même, cet homme s’interrompait au milieu de son discours et se taisait au passage d’une voiture, afin de ne pas forcer sa voix. À l’imitation de Fontenelle, il économisait le mouvement vital, et concentrait tous les sentiments humains dans le moi. Aussi sa vie s’écoulait-elle sans faire plus de bruit que le sable d’une horloge antique. Quelquefois ses victimes criaient beaucoup, s’emportaient ; puis après il se faisait un grand silence, comme dans une cuisine où l’on égorge un canard. Vers le soir l’homme-billet se changeait en un homme ordinaire, et ses métaux se métamorphosaient en cœur humain. S’il était content de sa journée, il se frottait les mains en laissant échapper par les rides crevassées de son visage une fumée de gaieté, car il est impossible d’exprimer autrement le jeu muet de ses muscles, où se peignait une sensation comparable au rire à vide de Bas-de-Cuir. Enfin, dans ses plus grands accès de joie, sa conversation restait monosyllabique, et sa contenance était toujours négative. Tel est le voisin que le hasard m’avait donné dans la maison que j’habitais rue des Grès, quand je n’étais encore que second clerc et que j’achevais ma troisième année de Droit.


Commentaire composé

En quoi ce portrait réaliste est-il révélateur du caractère avare du personnage ?

 

I) Un portrait réaliste

 

Description traditionnelle allant du général, “cette figure pâle et blafarde”, au précis “Les traits de son visage”, du haut au bas “Son nez pointu”, “les lèvres minces”.

 

Description du milieu de vie “Tout était propre et râpé dans sa chambre”. C’est une description traditionnelle de Balzac qui pense que le milieu définit l’homme.

 

Narration de Derville aide à la crédibilité de la scène. Il se fait une autobiographie “j’ai eu vingt-cinq ans”, et semble discuter avec le lecteur “Vous riez déjà”.

 

“ses petits yeux n’avaient presque point de cils et craignaient la lumière” : Comme conséquence de son travail d’usurier, travail d’intérieur qui consiste à compter des sous, Gobseck craint la lumière.

 

“Tout était propre et râpé dans sa chambre” : le personnage est radin puisqu’il garde ses vieilleries au lieu de s’en acheter de nouvelles, mais aussi maniaque du contrôle qui passe son temps à ranger.

 

“En hiver les tisons de son foyer, toujours enterrés dans un talus de cendres, y fumaient sans flamber.” : Le personnage est tellement avare, qu’il ne souhaite pas consommer du bois pour se réchauffer.

 

“Quelquefois ses victimes criaient beaucoup, s’emportaient ; puis après il se faisait un grand silence, comme dans une cuisine où l’on égorge un canard.” : Gobseck est montré comme un assassin, d’une façon assez humoristique en donnant l’illusion qu’il va dévorer ses victimes, d’où son nom [Gobe sec].

 

“S’il était content de sa journée, il se frottait les mains en laissant échapper par les rides crevassées de son visage une fumée de gaieté, car il est impossible d’exprimer autrement le jeu muet de ses muscles, où se peignait une sensation comparable au rire à vide de Bas-de-Cuir.” : La description du corps sec et noueux montre le caractère maléfique du personnage, similairement à d’autres personnages diaboliques dans l’univers balzacien (l’antiquaire dans La Peau de chagrin, Frenhofer dans Le chef d’oeuvre inconnu).  

 

II) Un personnage avare

 

Le personnage “économisait le mouvement vital”, lui donnant un aspect avare, en lui faisant réservé tout, non seulement l’argent. On le voit également avec : “sa conversation restait monosyllabique”, “ne pas forcer sa voix”.

 

Gobseck est liée à l’alchimie en le décrivant comme fait de métaux, “ses métaux”, “paraissaient avoir été coulés en bronze”, rendant le personnage inquiétant. Il devient ce qu’il aime, c’est à dire l’or, mais comme le métal est naturellement froid, le personnage est montré comme n’ayant pas de coeur.

 

Gobseck est usurier, il prête de l’argent aux autres, mais attend des sommes beaucoup plus élevées. Cette profession insiste sur sa personnalité avare car il ne pense qu’à s’enrichir.

 

“Les cheveux de mon usurier étaient plats, soigneusement peignés et d’un gris cendré.” : Cette phrase montre que Gobseck est rigide, en montrant des cheveux peignés. Ils sont également plats, comme le personnage, et leur couleur grise métallique représente la vieillesse et la tristesse de Gobseck qui est devenu dur comme l’acier.

 

“paraissaient avoir été coulés en bronze” : le personnage est devenu inerte comme une statue.

 

“En hiver les tisons de son foyer, toujours enterrés dans un talus de cendres, y fumaient sans flamber.” : Le personnage est lui-même si froid qu’il semble que sa seule présence empêche le feu de bien brûler, car le feu représente la vie.

 

“Son âge était un problème : on ne pouvait pas savoir s’il était vieux avant le temps, ou s’il avait ménagé sa jeunesse afin qu’elle lui servît toujours.” : Gobseck n’a pas d’âge précis puisque l’argent n’a pas d’âge non plus. La relation entre les deux est donc accentuée. De plus, ce personnage a un aspect diabolique qui le place en-dehors du temps.

 

“afin de ne pas forcer sa voix”, “Enfin, dans ses plus grands accès de joie, sa conversation restait monosyllabique, et sa contenance était toujours négative” : Gobseck n’a aucun contact avec les autres, puisque sa voix est faible. La parole est inutile pour lui parce qu’il ne cherche pas à créer des liens.

 

“Vers le soir l’homme-billet se changeait en un homme ordinaire, et ses métaux se métamorphosaient en cœur humain.” : Le personnage est constamment dans son travail, et l’évocation du billet renforce son caractère avare, car cela fait penser à un billet de monnaie.


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Commentaires: 1
  • #1

    Ava (lundi, 21 novembre 2022 14:13)

    Comment Derville cherche-t-il à attiser la curiosité de son auditoire au sujet de Gobseck?