Commentaire composé de Fin de partie - Beckett - 1957 - Extrait de la scène d'exposition

Texte
CLOV (regard fixe, voix blanche). — Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. (Un temps. ) Les grains s'ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c'est un tas, un petit tas, l'impossible tas. (Un temps.) On ne peut plus me punir. (Un temps.) Je m'en vais dans ma cuisine, trois mètres sur trois mètres sur trois mètres, attendre qu'il me siffle. (Un temps.) Ce sont de jolies dimensions, je m'appuierai à la table, je regarderai le mur, en attendant qu'il me siffle.
Il reste un moment immobile. Puis il sort. Il revient aussitôt, va prendre l'escabeau, sort en emportant l'escabeau. Un temps. Hamm bouge. Il bâille sous le mouchoir. Il ôte le mouchoir de son visage. Teint très rouge. Lunettes noires.
HAMM. — À — (bâillements) — à moi. (Un temps.) De jouer. (Il tient à bout de bras le mouchoir ouvert devant lui.) Vieux linge ! (Il ôte ses lunettes, s'essuie les yeux, le visage, essuie les lunettes, les remet, plie soigneusement le mouchoir et le met délicatement dans la poche du haut de sa robe de chambre. Il s'éclaircit la gorge, joint les bouts des doigts.) Peut-il y a — (bâillements) — y avoir misère plus... plus haute que la mienne ? Sans doute. Autrefois. Mais aujourd'hui ? (Un temps.) Mon père ? (Un temps.) Ma mère ? (Un temps.) Mon... chien ? (Un temps.) Oh je veux bien qu'ils souffrent autant que de tels êtres peuvent souffrir. Mais est-ce dire que nos souffrances se valent ? Sans doute. (Un temps.) Non, tout est a — (bâillements) — bsolu, (fier) plus on est grand et plus on est plein. (Un temps. Morne.) Et plus on est vide. (Il renifle.) Clov ! (Un temps.) Non, je suis seul. (Un temps.) Quels rêves — avec un s ! Ces forêts ! (Un temps.) Assez, il est temps que cela finisse, dans le refuge aussi. (Un temps.) Et cependant j'hésite, j'hésite à... à finir. Oui, c'est bien ça, il est temps que cela finisse et cependant j'hésite encore à — (bâillements) — à finir. (Bâillements.) Oh là là, qu'est-ce que je tiens, je ferais mieux d'aller me coucher. (Il donne un coup de sifflet. Entre Clov aussitôt. Il s'arrête à côté du fauteuil.) Tu empestes l'air ! (Un temps.) Prépare-moi, je vais me coucher.
Fin de partie - Beckett - 1957 - Extrait de la scène d'exposition
Commentaire composé
Comment à travers cette scène d’exposition surprenante et burlesque, le dramaturge dresse-t-il un tableau pessimiste de la condition humaine ?
I\ Une scène d’exposition surprenante et burlesque
A)Une scène d’exposition surprenante
“Fini, c'est fini, ça va finir” La scène commence par le mot fin.
“Il donne un coup de sifflet. Entre Clov aussitôt.” Clov accepte de se faire déshumaniser, animaliser.
Le monde est inversé, c’est le personnage en fauteuil roulant (Hamm) qui domine le personnage libre de se déplacer (Clov).
Les personnages se contentent de très petits espaces de vie, “trois mètres sur trois mètres sur trois mètres [...] ce sont de jolies dimensions”.
L’absence d’action et d’intrigue dans la scène d’exposition nous surprend, c’est le principe même de l’absurde.
La scène est très rythmée et pourtant elle manque d’action, ce qui est paradoxal.
B) Une scène d’exposition burlesque
Comique de gestes : “ll reste un moment immobile. Puis il sort. Il revient aussitôt, va prendre l'escabeau, sort en emportant l'escabeau” Gestes inutiles.
“ Peut-il y a — (bâillements) — y avoir misère plus... plus haute que la mienne ?” Hamm compare sa condition a la misère de son entourage pour se rendre moins malheureux.
Comique de mots : Hamm change de sujet tout le temps “à moi. (Un temps.) De jouer. [...] Vieux linge !”
Hamm ne respecte pas Clov, or c’est celui qui l’aide, comique tragique :“Tu empestes l'air !”
Le ton du monologue de Hamm est tragique “ Mon... chien ?” ce qui est burlesque car il n’utilise pas ce ton pour sa mère ni son père mais pour son chien.
Les émotions sont très brèves, Hamm change très vite d’attitude pour être à nouveau “dépressif”.
II\ Un tableau pessimiste de la condition humaine
1. Une vie de souffrance
“Les grains s'ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c'est un tas, un petit tas, l'impossible tas. (Un temps.)” On voit bien que le temps passe trop vite, prise de conscience, vie monotone.
“Il bâille” tout le temps ce qui montre qu’il s'ennuie.
“trois mètres sur trois mètres sur trois mètres, attendre qu'il me siffle” esclavage
Champ lexical de la misère: misère, souffrance, punir.
On se rend compte que les répétitions du mot finir sont synonymes de mettre fin à sa vie.
“Il reste un moment immobile. Puis il sort. Il revient aussitôt, va prendre l'escabeau, sort en emportant l'escabeau.” La vie est banale, répétitive et monotone, routine.
Les didascalies “(Un temps. )” renforcent l’argument du temps qui passent vite, la monotonie.
Les descriptions que le Beckett fait n’ont aucune importance mais c’est la seule chose qu’il peut décrire vu que tout est ennuyeux, il pense que la vie est vide de sens, on ne vit que pour souffrir (Hamm en fauteuil roulant, Clov est un esclave)
Toutes les questions qu’il se pose le font souffrir, tout son entourage vit dans la misère.
B) Un monde abandonné par Dieu
Il monte sur l'escabeau pour être plus près de Dieu afin qu’il puisse le sauver de cette vie ennuyeuse.
L’escabeau montre que Dieu est le seul espoir des Hommes sachant que la religion Chrétienne a été créée par les Hommes, or ils vivent encore dans la misère, Dieu ne les a pas aidés.
“Non, tout est a — (bâillements) — bsolu” c’est un monde manichéen. Dans cet extrait tout est misérable. Il n’y a aucun adjectif qui désigne le “bien”, c’est le début de la “fin” de l’humanité, tout est délié de sens et la vie n’a aucun but.
“Plus on est grand et plus on est plein” plus on est proche de Dieu plus on est protégé, mais prise de conscience que Dieu n’intervient pas : “Et plus on est vide”.
“Mais est-ce dire que nos souffrances se valent ? Sans doute” montre l'espoir que Dieu existe encore.
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