Commentaire composé sur Les Pensées de Pascal, fragment 185, les deux infinis, disproportion de l'homme

Texte
Les Pensées de Pascal, fragment 185, les deux infinis, disproportion de l'homme
Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de la toute puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.
Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.
Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible, dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ses merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ?
Qui se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.
Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.
Pascal, Pensées, Fragment 185
Commentaire composé
Comment Pascal utilise-t-il la parabole des deux infinis pour démontrer l’existence de Dieu ?
I) La mise en perspective de l’homme par rapport aux deux infinis
a) L’infiniment grand
“que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit” : La Terre, qui pour l’homme semble grande, est vue comme petite en comparaison avec l’univers, infiniment grand.
“et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent.” : Pascal évoque le système solaire pour montrer que la Terre est petite au regard de la complexité du système dans lequel elle s’imbrique.
“C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part.” : Pour Pascal, l’univers serait contenue dans une sphère si grande même en se déplaçant partout sur la Terre, l’homme ne pourrait en saisir ni le centre, ni les contours.
“Que l'homme, étant revenu à soi,” : Pascal dit que l’homme est étourdi par la grandeur de l’univers face à laquelle il éprouve une sorte de vertige.
“car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ?” : Pascal nous dit que, quelle que soit leur taille, tous les êtres seront plus grand que d’autres car tout est une question de point de vue.
b) L’infiniment petit
“Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses.” : L’homme est infiniment petit et ne peut pas concevoir l’immensité de l’univers.
“considère ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.” : Ce paragraphe correspond à une transition, on passe de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Pascal invite l’homme à modifier son poids de vue au regard de l’univers
“Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?” : Cette question rhétorique invite l’homme à relativiser sa place dans l’univers.
“Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes” : Le ciron sert de métaphore du microcosme, et Pascal l’utilise pour créer un parallèle avec l’homme en évoquant une accumulation de termes médicaux se référant à la théorie des humeurs par laquelle on expliquait les maladies au XVIIème siècle. On voit bien ici que Pascal se positionne en scientifique pour essayer de démontrer de manière rationnel un phénomène irrationnel : la foi :
“que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours”.
“il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature” : Du point de vue de l’homme, un ciron est minuscule et avec cet argument Pascal reproche à l’homme à faire des comparaisons en se prenant pour référence comme un standard : “Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau”.
II) La déduction de l'existence de Dieu
a) Le miracle de la vie
“Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent.” : Pascal donne une injonction aux hommes pour les sensibiliser au miracle de la vie.
“elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir” : Pascal montre une nature créatrice très féconde.
“Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible, dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné” : La vie est tellement complexe qu’on ne peut se la représenter qu’à partir de ce que l’on connaît déjà. Pour Pascal la vie est un ensemble de microcosmes imbriqués les uns dans les autres comme autant de poupées russes.
“Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.” : La vie reste pour l’homme un secret impénétrable malgrés toutes les connaissances qu’il pense avoir. Selon Pascal, la seule attitude que l’homme devrait avoir est une attitude d’humilité, de crainte de foi à l’égard de Dieu.
b) La cosmologie
“Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers” : A travers cette évocation de la lumière, Pascal introduit l’idée que l’univers a été créé par un Dieu éternel.
“Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre” : Pascal nous invite à ne pas simplement regarder le monde, mais aussi de l’imaginer avec la foi.
“Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de la toute puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.” : Pour Pascal, c’est la petitesse de l’homme qui nous permet de comprendre la nature perceptible et donc réelle de l’existence de Dieu.
“qu'il se perde dans ses merveilles” : Le mot merveille signifie le miracle, ce qui est créé par Dieu. Par cet argument sur le miracle de la création de l’univers et de tout ce qu’il renferme, Pascal entend prouver l’existence de Dieu.
“Qui se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.” : Pascal démontre que l’homme doit craindre Dieu, car il devrait se considérer comme une créature de Dieu.
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