Analyse de la Prière à Dieu de Voltaire

Analyse de la Prière à Dieu de Voltaire

Etude linéaire

Situation du texte 

De 1760 à 1768, Voltaire séjourne à Ferney près de la Suisse, qu'il transforme en centre culturel, dramatique, agricole et industriel (exemple d'un philosophe à l'œuvre, d'une expérience assez unique)

1762 : Voltaire qui est un farouche ennemi du fanatisme et de l'intolérance (cf sa signature-slogan Ecrelinf = Ecrasons l'Infâme) milite en faveur de la réhabilitation du protestant Jean Calas, accusé d'avoir assassiné son fils qui voulait se convertir au catholicisme. Sans réelles preuves, Calas est roué en 1762, puis réhabilité grâce à Voltaire en 1765.

1763 : Voltaire utilise le retentissement de ce procès pour écrire le Traité sur la tolérance ; il veut : 

prouver l'innocence de Calas 

critiquer le fanatisme et la révocation de l'Edit de Nantes 

faire l'histoire de l'intolérance à travers les âges et les lieux 

souligner la contradiction entre la doctrine chrétienne et le dogmatisme fanatique 

Ce texte, Prière à Dieu, sert de conclusion à ce traité 

 

1. Nature du texte et insistances particulières 

Communication et énonciation 

Un destinataire déclaré dès le début par une antithèse : ce n'est plus, aux hommes + c'est à TOI DIEU 

Situation de communication particulière : Permission oratoire et prière 

Opposition entre imperfection, finitude, faiblesse de l'homme et puissance incommensurable de l'Etre éternel 

Opposition des champs lexicaux : 

adjectifs : faibles, perdus, imperceptibles, vie passagère OPPOSES à immuables, éternels 

noms : hommes, créatures, erreurs OPPOSES à Dieu, décrets 

verbes : est permis, oser, demander OPPOSES à daigne, regarder en pitié 

pronoms : (demander) quelque chose OPPOSE à tout (donner) 

Développement en gradation de fardeau d'une vie pénible et passagère :

Vision plutôt pessimiste de la nature humaine 

faiblesse physique : débiles corps 

faiblesse intellectuelle : langage insuffisant, opinions insensées 

faiblesse des moeurs : usages ridicules 

faiblesse institutionnelle : lois imparfaites 

faiblesse sociale : conditions disproportionnées 

Expressions globales impitoyables qui renvoient l'homme au néant ou à peu de choses : 

erreurs attachées à notre nature (destin, Providence) 

les atomes appelés hommes 

Prodigalité divine : tout donné. donné un cœur, des bras ... 

Vanité du monde terrestre dans deux périphrases satiriques

- petite parcelle d'un petit tas de la boue de ce monde

- quelques fragments arrondis d'un certain métal 

Il faut presque de la présomption à l'homme pour s'adresser directement à Dieu 

l'objet de la demande est limité à la pitié du créateur 

la prière n'est qu'actions de grâce : TE célébrer, T'aimer, T'adorer 

Transition 

Pourquoi donc Voltaire pousse-t-il à l'extrême les différences entre les hommes et dieu, insiste-t-il tant sur ses faiblesses, sa vanité? 

Sa vision du monde est-elle si pessimiste ? 

Est-ce vraiment une prière à Dieu qui en principe doit déjà parfaitement connaître les faiblesses de ses créatures? 

 

2. La stratégie argumentative   

la prière à Dieu = un moyen pour convaincre les hommes 

Malgré la déclaration initiale "ce n'est plus... c'est à TOI", le texte est surtout destiné aux hommes 

Etude de la pronominalisation :

Présence très importante du nous jusqu'à un certain point : 

Voltaire commence par s'intégrer dans le lot misérable de l'humanité 

Voltaire s'en distingue ensuite : hommes, ceux qui, laissant donc entendre qu'il n'adopte pas un tel comportement 

Passage de la simple prière à Dieu ( 1ère phrase) aux souhaits pour les hommes (2ème phrase) 

THESE de VOLTAIRE : 

La finitude de l'homme devrait instaurer une certaine égalité entre eux, une certaine solidarité 

La finitude de l'homme est génératrice de calamités, alors qu'elle devrait inviter à la TOLERANCE 

Double procédé : 

affaiblir considérablement les différences entre les hommes 

grossir les conséquences terribles de ces mêmes nuances : signaux de haine et de persécution 

Antithèses entre différences => petites nuances (gradation decrescendo)

et l'hyperbole signaux de haine et de persécution 

Le ton est ironique, acerbe (caustique), car l'homme se prévaut, se glorifie des nuances qui ne sont que faiblesses pour BRANDIR l'étendard et partir en guerre, en croisade.

STRATEGIE ARGUMENTATIVE

ridiculiser les prétextes de l'intolérance pour prouver son absurdité 

La prière laisse la place à la polémique, à la satire des comportement intolérants et fanatiques : Voltaire n'attaque pas les doctrines religieuses, mais raille les pratiques extérieures des "ceux qui", cherche à discréditer les différences absurdes dans les rites. 

Dans l'ordre il envisage le décorum, le vêtement, le langage, les hommes d'Eglise 

le décorum :

absurdité d'allumer des cierges en plein midi

absurdité d'être intolérant envers ceux qui se contentent du soleil divin

le soleil est bien plus éclairant que le cierge, rapproche plus de dieu

l'ironie de "se contentent" traduit une réelle préférence de Voltaire ! 

le vêtement :

la toile blanche remplace le surplis catholique, la laine noire la robe du pasteur protestant, plus loin les habits teints en rouge et en violet, les cardinaux d'évêques

Remarquer

- les synecdoques (matière pour vêtement), le participe teints (à commenter!)

- l'utilisation du verbe couvrent et de la préposition sous

- le rapport peu logique entre les deux actions concrètes/spirituelles : couvrir / prier 

le langage :

encore opposition entre

- le concret (contenant) : le jargon (péjoratif pour langage)

- le spirituel : t'adorer (commun à tous) 

les hommes d'Eglise :

La satire est bien plus féroce pour attaquer la vanité terrestre et matérielle de ceux qui en principe sont chargés d'une mission spirituelle.

La teinture insiste sur l'apparence, la fausseté.

Les longues périphrases détruisent

- peu à peu le pouvoir temporel de ces "dignitaires"

- la soif de richesses matérielles

Opposition entre

- richesse et grandeur (point de vue des dignitaires (ce qu'ils appellent)

- vanités (savoir de Dieu et ... de l'auteur)

Reprise en chiasme : sans orgueil, sans envie => ni de quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir 

Remarquer tout de même les limites de la critique : insistance sur la paix à maintenir, mais aussi sur le statu quo ; Qu'ils jouissent <=> Et que les autres les voient 

Conclusion de l'étude : 

antithèses successives pour montrer l'intolérance

mais construites sur des oppositions superficielles, devenant absurdes, éliminées, effacées par l'emploi d'un verbe central ou initial (action tolérante) : supportent (cf tolerare = supporter), ne détestent pas, qu'il soit égal 

constantes périphrases pour faire ressortir le caractère grossier, matériel des rites et des comportements 

 

3. Les remèdes 

Face à cette intolérance, au dogmes religieux de toutes sortes, Voltaire propose une religion nouvelle : le déisme, (théisme) : cf au début les trois compléments de détermination de Dieu

de tous les êtres + de tous les mondes + de tous les temps 

Il s'agit donc d'un dieu unique sans représentation précise, particulière, historique, pas de religion révélée. (cf article Théiste) 

Conclusion 

Une prière-artifice à valeur argumentative et critique. 

Voltaire croit en un Dieu ordonnateur, mais assez insensible aux prières humaines qu'il s'agit simplement d'adorer. 

Il s'adresse aux hommes et cherche à leur montrer le ridicule de l'intolérance, qui s'intéresse à l'extérieur, qui peut devenir injustice, puis barbarie (Cf Calas).

Commentaire composé

Comment, à travers une prière pour la paix, Voltaire dénonce t-il la violence des hommes ?

 

L’histoire de l’Europe est marquée depuis le moyen-âge par des guerres de religion, que ce soient les croisades médiévales ou le triste massacre de la Saint-Barthélémy, ces désastres nous portent à réfléchir sur la tolérance. Ainsi Voltaire écrit-il sa “Prière à Dieu” dans le but de pousser les hommes à en finir avec ces guerres et à vivre en paix ensemble. Nous verrons donc comment, à travers une prière pour la paix, Voltaire dénonce la violence des hommes et leur intolérance. Nous montrerons tout d’abord que cette prière s’adresse à Dieu, mais nous verrons ensuite qu’elle est aussi adressée aux hommes, et enfin nous étudierons comment Voltaire définit la vraie foi à travers son texte.

I) Une prière adressée à Dieu

 

“Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps” : Voltaire dit clairement qu’il s’adresse à Dieu.

 

“daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités.” : L’auteur demande à Dieu d’avoir pitié des hommes et de leur pardonner leurs actes.

 

“fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère” : Il demande l’aide de Dieu pour changer les mentalités des hommes. Il fait une prière d’intercession.

II) Une prière adressée aux hommes

 

“Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse” : Avec cette phrase, Voltaire écrit en réalité cette prière pour pousser les hommes à faire la paix.

 

“Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger” : Voltaire dénonce les hommes qui n’arrêtent pas de s’entretuer et de se détester entre eux. Il en appelle à la foi des hommes pour leur faire comprendre que nous sommes créés pour l’amour et pas pour la guerre.

 

“fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère” : Il demande aux hommes de vivre en paix. Il rappelle aux hommes que la vie est trop courte pour l’employer à mauvais escient.

 

Voltaire reproche aux hommes de se faire la guerre pour des choses sans importance : “que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi”. Les guerres sont causées par des différences de coutumes, d’usage, de pensées, de règles, d’habillement.

 

“Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères !” : L’utilisation du subjonctif rappelle que le texte est une prière. Voltaire dit que les hommes appartiennent tous à la même famille, et que donc ils devraient s’entraider.

 

“Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible !” : Les hommes ont un sens de la justice envers les voleurs, mais n’en ont pas envers la liberté de penser.

 

“Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.” : Voltaire termine son texte en s’adressant directement aux hommes, et en leur demandant de cesser les combats et de vivre en harmonie dans le monde entier et de consacrer leur existence à remercier Dieu de leur avoir prêté vie.

III) La foi selon Voltaire : le déisme

 

“s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui a tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels,” : Voltaire pense que les hommes ont été crée par Dieu, et tout ce qu’ils possèdent viennent de lui.

 

“que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution” : Il dénonce les guerres de religion, en disant que nos différences ne doivent pas être une raison pour se battre.

 

“que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supporte ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau”: Voltaire décrit tour à tour les rituels catholiques (les vêtements blancs, la messe en latin, les cierges) et protestants (les vêtements noirs, la messe en français, pas de besoin d’être dans une église pour prier) pour dire que tous prient le même Dieu donc ils est absurde de se battre.

 

“que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet,” : les cardinaux et les évèques,  “qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal” : qui administrent politiquement une région qui leur est allouée et qui en reçoivent un gros salaire en pièces d’or, “jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni envier, ni de quoi s’enorgueillir.” : les personnes pauvres ne devraient pas envier les personnes riches même si ils pensent que cette richesse est injuste, car Voltaire rappelle que pour Dieu l’argent est sans importance.

 

“la tyrannie exercée sur les âmes” : Voltaire condamne toute forme d’oppression religieuse. Il nous invite à cultiver notre foi en nous préservant des travers de la religion présentée comme un moyen pour des hommes puissants d’en opprimer de plus faibles.


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