Commentaire composé de l’incipit d’Aurélien d’ARAGON

Texte
Aurélien tombe amoureux de Bérénice Morel qui, de sa province, est venue passer quelques jours à Paris. Puis les circonstances de la vie éloignent les deux personnages : leur amour ne cesse pas, mais il ne peut pas non plus vraiment exister. En 1940, mobilisé, Aurélien retrouve Bérénice, qui a changé. Mais quelques heures plus tard, elle est tuée par les Allemands, en voiture.
La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n'aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu'il n'aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu'il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d'Orient sans avoir l'air de se considérer dans l'obligation d'avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n'aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l'avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d'ennui et d'irritation. Il se demanda même pourquoi. C'était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois… Qu'elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n'y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l'irritait.
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l'avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu'il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l'avait obsédé, qui l'obsédait encore :
Je demeurai longtemps errant dans Césarée…
En général, les vers, lui… Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? C’est ce qu'il ne s'expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l'histoire de Bérénice…l'autre, la vraie… D'ailleurs il ne se rappelait que dans ses grandes lignes cette romance, cette scie. Brune alors, la Bérénice de la tragédie. Césarée, c'est du côté d'Antioche, de Beyrouth. Territoire sous mandat. Assez moricaude, même, des bracelets en veux-tu en voilà, et des tas de chichis, de voiles. Césarée… un beau nom pour une ville. Ou pour une femme. Un beau nom en tout cas. Césarée… Je demeurai longtemps … je deviens gâteux. Impossible de se souvenir : comment s'appelait-il, le type qui disait ça, une espèce de grand bougre ravagé, mélancolique, flemmard, avec des yeux de charbon, la malaria… qui avait attendu pour se déclarer que Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage, à Rome, avec un bellâtre potelé, ayant l'air d'un marchand de tissus qui fait l'article, à la manière dont il portait la toge. Tite. Sans rire. Tite.
Je demeurai longtemps errant dans Césarée…
Commentaire composé
En quoi cet incipit s’inscrit-il dans le mouvement surréaliste ?
Introduction :
Louis Aragon nous présente une scène de non rencontre dans son incipit. Cette rencontre à lieu entre le personnage éponyme du roman : Aurélien et Bérénice une jeune femme.
En quoi cet incipit s’inscrit-il dans le mouvement surréaliste ?
1. La pauvreté des informations spatio temporelles
Le lecteur n’apprend rien sur le contexte de la scène : “ce jour la” l 5
Aucune description n’est présente, le roman est très peu construit. Le lecteur est lâché dans une histoire déjà commencée (ouverture in médias res) qui lui est inconnue sans aucune préparation.
La scène apparaît comme une scène de non rencontre : la femme est perçue comme laide par Aurélien.
Le récit est centré sur Aurélien : focalisation interne : il n’y a donc pas d’échange de regard comme dans les scènes de rencontres classiques.
Il n’y a pas de véritable portrait des personnages, seulement des notations brèves : “Il lui en demeurait une impression vague, générale, d'ennui et d'irritation” la description n’est pas construite.
Louis Aragon ne respecte pas les codes de l’incipit.
2. L’intertextualité avec la pièce de Racine
Le vers est répété tout au long du récit pour montrer l’obsession d’Aurélien pour ce vers : (l’auteur fait ce qu’il dit)
La pièce de Racine détermine l’histoire : la relation entre les deux personnages : le roman est placé sous le signe de la tragédie : leur relation sera-t-elle tragique?
Le vers de Racine à obsédé Aurélien durant la guerre : un vers qui l'avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées
Il y durant toute l’œuvre une comparaison entre la Bérénice fictive et la Bérénice réelle. La femme réelle se trouve dévalorisée par cette comparaison puisqu’elle ne peut avoir autant de qualités qu’une héroïne tragique. Elle finit par n’avoir que le nom de la princesse d’Orient :” Qu'elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n'y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice”
Cette intertextualité ajoute un aspect déroutant à cet incipit
3. L’amour inconscient d’Aurélien
On pénètre dans la conscience d’Aurélien : Discours Direct :”Plutôt petite, pâle, je crois…” il y a une imitation du style oral, qui nous rend complice avec le personnage, comme s’il se parlait à lui même. ex : “je deviens gâteux”
Le second énonciateur n’est pas identifié clairement : l 7 :” Il l'avait mal regardée” on ne sait pas de qui il s’agit, on peut supposer qu’il s’agit de Louis Aragon. Cette situation d’énonciation complexe fait penser au monologue intérieur où la psychologie surpasse la narration.
Aurélien se parle à lui même et ne comprend pas pourquoi ce vers le marque tant :” Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? C’est ce qu'il ne s'expliquait pas” introduction de l’inconscient qui surpasse la raison.
”dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable” il ne comprend pas pourquoi le vers le marque autant, il ne le trouve pas beau ni particulier. Il essaye de comprendre avec la raison mais son subconscient domine : surréalisme.
Conclusion
Même si Bérénice est décrite comme laide par Aurélien, son imagination travaille, il ne peut arrêter son inconscient. Ce texte s’inscrit donc dans mouvement surréaliste : il met en avant le subconscient et laisse de côté l’aspect réel de la pièce.
Ouverture : Dimension autobiographique ? Histoire d’amour avec Elsa Triolet. On peut donc se demander si l’auteur ne raconte pas une partie de sa vie avec tous ses sentiments intérieurs.
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